Pierre L'Ermite / L'origine des accusation de déicide sur les juifs

Pierre L'Ermite / L'origine des accusation de déicide sur les juifs

Introduction & Contexte

Avec Apion, nous avons vu l’accusation de meurtre rituelle, avec Philippe Auguste, la spoliation, aujourd’hui, je vais vous parler de l’accusation de déicide et plus précisément de Pierre l’Ermite.

Pourquoi ce personnage ? Parce que comme Apion, l’histoire a trop oublié un homme qui, dans l’histoire du peuple juif a pourtant eu une importance de premier plan, bien que ce ne soit pas lui, qui, à l’instar des autres, a inventé ce mythe.

Mais il reste pourtant un personnage majeur dans la responsabilité de sa propagation et donc de ces conséquences.

 

D’habitude je commence par le contexte pour bien comprendre les événements mais, étant contemporain d’Apion, le contexte est donc le même.

Souvenez-vous dans l’émission précédente, nous avions parlé du 1er siècle, c’est-à-dire entre l’an 1 à l’an 100, et de son importance historique du fait de ces événements majeurs pour l’histoire du peuple juif, parmi lesquelles nous avions cité sans s’y attarder la crucifixion de Jésus en 30.

De cet événement va découler, le 1er mythe sur les juifs de la chrétienté, j’ai nommé le déicide.

Juda, alors juif, accusé d’avoir dénoncé Jésus et donc, d’être responsable de sa mort.

Et par extension, les juifs dans leur ensemble sont désignés d’être les assassins de Jésus.

En accuser les romains était impossible car cela aurait empêché de faire du latin la langue du christianisme et de Rome, sa capitale.

Et donc, accuser les juifs était le plus simple.

 

Au 2ème siècle, un auteur, l’évêque de Sardes, en Grèce actuelle, nommé, Méliton sera le premier à porter à l'encontre des juifs l'accusation d'avoir « tué Dieu ».

Il est sans doute le premier auteur chrétien à parler de «Peuple déicide ».

C'est à lui que l'on fait référence pour cette accusation.

On sait très peu chose de lui, probablement issu d’une branche chrétienne juive, car malgré sa chrétienté il célébrait Pessah le 14 Nissan.

Toutefois, l’accusation de déicide s’installera aussi à partir d’un mythe écrit dans un ouvrage par un philosophe chrétien dénommé Justin de Naplouse.

Ce livre intitulé « dialogue avec Tryphon le juif », est une œuvre décrivant un dialogue purement fictif.

Justin révèle sa pensée sur les Juifs à Tryphon, un Juif imaginaire.

Certains reconnaîtront Rabbi Tarphon, un des plus célèbres rabbins de l’époque.

Néanmoins, et malgré sa haine antijuive, Justin décédera une dizaine d’année plus tard, exécuté par le fouet et décapité à Rome en 165.

J’avoue ne pas savoir, qui de Méliton ou Justin de Naplouse a été l’inventeur de cette accusation.

Tous deux étant contemporains, j’ai du mal à en reconnaître la paternité.

Mais, l’accusation de déicide était bien née.

 

Et donc, pour m’aider à y répondre, j’ai demandé par email à l’historien monsieur Simon Claude Mimouni son avis sur cette question et, il m’a honoré d’une réponse que je vous lis. :

« Justin affirme que les Juifs ont assassiné le Christ, mais c’est Méliton qui affirme que Dieu a été assassiné par les Juifs.
Personnellement, j’estime que la paternité de l’accusation de déicide revient à Méliton et non pas à Justin. À l’époque, il est difficile de dire que Christ = Dieu, ce n’est pas si simple, c’est même très complexe, car pour certains auteurs chrétiens c’est le cas mais pas pour d’autres.
Les deux personnages sont plus ou moins contemporains, mais il est impossible, faute de document, de savoir s’ils se sont connus.
 » Fin de citation.

J’en profite au nom de Tandem TV de le remercier pour sa réponse, et vous dire qu’il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire du peuple juif, que je ne peux que vous conseiller.

 

Et donc, on peut affirmer grâce à monsieur Simon Claude Mimouni, avec certitude, que c’est bien Méliton le père de cette accusation.

Et là on fait un bon de 800 ans jusqu’à la première croisade.

 

Sujet

Rapidement pour expliquer, ce que sont les croisades.

En 632, à la mort de Mahomet, les musulmans lancent une guerre sainte et commence alors, la conquête arabe et prennent Jérusalem en 638.

La Terre Sainte et le tombeau du Christ, deviennent alors sous domination musulmane.

Les musulmans, permettent malgré tout, aux autres religions, de continuer leur pèlerinage non sans conditions pour les juifs, avec notamment le statut de dhimmi et le tristement célèbre pacte d’Omar qui fera naître le signe jaune distinctif à porter sur les vêtements des juifs.

Mais au 11ème siècle, en 1071, l’empire Turc musulman des Seldjoukide, des sunnites, prend de l’ampleur et prennent Jérusalem, mais par contre, empêchent les chrétiens de pèleriner sur le Tombeau du Christ, ce qui, bien sûr ne va pas plaire au Pape.

En 1092, une guerre civile va diviser l’empire Seldjoukide.

 

Ainsi, en 1095, le pape Urbain II lance un appel à Clermont pour sauver la Terre Sainte au nom de la chrétienté. 

L’empereur romain d’Orient et le Pape en profitent pour demander de l’aide à l’Occident, et pour les motiver, le Pape va accorder aux combattants le salut de leur âme.

Et pour l’époque où la religion est de premier plan, c’est une proposition à ne pas manquer.

La réponse sera instantanée.

Ce qui est nouveau dans la chrétienté, on a le droit de tuer au nom de Dieu, avec la bénédiction du Pape.

Ainsi va naître la 1ère croisade.

Bien que le nom de « croisade » n’apparaîtra que deux siècles après.

Vous l’aurez compris ce sont des expéditions militaires organisées par les chrétiens d'occident pour libérer Jérusalem et le Tombeau du Christ.

Il y en aura 9 en tout dîtes officielles, ou 12 croisades si on ajoute, les croisades baltiques, albigeoise et la croisade des barons.

À noter, qu’à la 8ème  croisade, en 1270, Saint Louis trouvera la mort à Tunis, sans oublier, la veille de son départ d’imposer aux juifs, le port de la rouelle.

A retenir donc, la 1ère croisade date de 1096, et la 9ème de 1271, elles vont donc durer précisément 175 ans, pour s’en souvenir plus facilement on peut affirmer que les croisades ont durées environ 200 ans.

Pendant cette période, la position sociale des Juifs en Europe occidentale a été nettement aggravée.

Voilà pour les croisades.

 

Je vous présente maintenant Pierre l’ermite.

Le moine, Pierre l’ermite dit Pierre d’Amiens, est le 1er prédicateur des croisades.

Amiens, ville dont il est originaire, et où l’on peut encore aujourd’hui y voir sa statue.

Mais aussi, en Belgique, à Huy, village entre Namur et Liège, à l’ancienne abbaye du Neuf Moustier, Pierre l’Ermite avait fait, à son retour de Terre Sainte, peu avant de mourir un prieuré, où il y est enterré.

Et là aussi sa statue trône.

 

C’est par lui que va ressurgir l’accusation de déicide formulée 800 ans plus tôt.

Car cette accusation n’avait pas encore pris corps auprès des populations jusque-là.

On peut donc affirmer qu’il est directement responsable de la mort de milliers de juifs.

 

Au Concile de Clermont en 1095, Pierre l'Ermite et Urbain II, ont suscité l'enthousiasme de la chevalerie française pour libérer Jérusalem et le tombeau du Christ des mains des musulmans.

Godefroy de Bouillon déclara qu'il vengerait le sang de Jésus sur celui des Juifs, et n'en laisserait aucun en vie, tandis que ses compagnons menaçaient d'exterminer les Juifs s'ils ne se convertissaient pas.

Et donc là on lie directement la haine des juifs avec le déicide et donc le prêche de Pierre l’Ermite.

Fort du succès de la promesse du Pape, Pierre l'Ermite, va rassembler une armée de paysans, de femmes, d’enfants, et de chevaliers sans maîtres, pour partir libérer Jérusalem.

Ils affluèrent vers l'est, traversent le sud de l'Allemagne, la Hongrie et les Balkans, massacrant en chemin les communautés juives.

Et donc, dès le début, des groupes de croisées vont attaquer des juifs.

Sur la route de Jérusalem, des colonnes de croisés surexcités, traversent des villes de Champagne et du Rhin, où se trouvaient d’importantes communautés juives se dirigeant vers Cologne.

 

En janvier 1096, les communautés juives de France envoyèrent des lettres aux juifs du Rhin, pour fixer un jour de jeûne pour conjurer le mal.

 

Le 10 avril 1096, premier jour de la Pâque, Pierre l'Ermite se présenta aux portes de Trèves en Allemagne,  armé d'une lettre des communautés juives de France, destinée, à leurs coreligionnaires allemands, leur demandant de fournir des provisions à Pierre et à ses croisés pour leur expédition vers la Terre Sainte. 

La communauté juive terrifiée, n’a pas eu d’autres choix que de s’exécuter, et Pierre et ses partisans ont continué leur chemin. 

Pourtant, peu après, les bourgeois de la ville se sont soulevés contre les Juifs, ont découvert les rouleaux de la Torah, que les juifs avaient placés dans un bâtiment en lieu sûr, et les ont profanés.

 

Le 12 avril 1096, les premières bandes de croisés arrivèrent à l'extérieur de Cologne.

Et lorsque Godefroy de Bouillon vint à Cologne et à Mayence, chaque communauté lui fit un présent de 500 Marcs d'argent pour assurer sa protection.

Pendant un mois, ils laissèrent les Juifs en paix, grâce à la fameuse lettre que les Juifs de France avaient remis à Pierre l'Ermite, pour demander aux communautés juives qu'il traversait au cours de son voyage de le ravitailler ainsi que ses partisans, de toute la nourriture dont ils avaient besoin en échange de l'engagement de les laisser en paix. 

Cependant, la foule croissante des croisés, dépassa toutes les espérances, et la frénésie religieuse du départ pris le dessus et rendit inefficace l'influence de Pierre l'Ermite. 

Conscients du danger émanent à la situation, les dirigeants de la communauté de Mayence dépêchèrent à la hâte une délégation auprès de l'empereur Henri IV, empereur du Saint Empire, qui comprenait l’Allemagne actuelle, qui écrivit immédiatement aux princes, évêques et comtes de l'empire pour leur interdire de nuire aux Juifs. 

Godefroy de Bouillon, lui-même a répondu qu'il n'avait jamais eu de telles intentions. 

Ayant reçu de l’argent, il épargna ainsi, les juifs.

 

Le 19 avril 1096, fort de ces prêches, Pierre l’Ermite, réussis à réunir 12.000 hommes, avant de poursuivre sa route vers Jérusalem.

 

Le 25 mai 1096, des centaines de croisés entrent à Mayence dans l’Allemagne actuelle et massacrèrent tous les juifs, femmes et enfants inclus où l’on peut voir encore aujourd’hui dans ce qui est le plus vieux cimetière juif d’Europe, des pierres tombales de victimes rappelant ce massacre.

On rapporte qu’à Troyes, Rachi échappera à ces violences.

 

Les pèlerins, en pleine surexcitation, se souviendront du prêche de Pierre l’Ermite et l’accusation de déicide et les juifs vont ainsi se faire massacrer.

Et en août 1096, Pierre l’Ermite et son armée d’amateur, vont se retrouver face à l’armée turque Seldjoukide.

C’est sans surprise, que ses paysans fanatisés à la parole du prêche de Pierre l’Ermite se feront massacrer, face à une véritable armée marquant ainsi la fin de la croisade populaire.

Mais Pierre l’Ermite en réchappa.

 

Lors de la 2ème croisade, en 1146, le pape charge l’abbé de Clairvaux d’empêcher de nouveaux massacres, car ils sont mal vus par l’Eglise, et même jugés anti chrétiens.

Il est alors rappelé aux chrétiens la doctrine d’Augustin, élaborée 600 ans auparavant, qualifiant les juifs de fossiles vivants.

Car les juifs alors accusés de déicide sont la preuve vivante de l’existence de Jésus puisqu’ils l’ont tué.

Faut-il rappeler que sans juifs, il n’y a pas de Jésus, et donc pas de christianisme.

Il ira même jusqu’à dire que celui qui touche à un juif, c’est comme s’il touche à Jésus lui-même.

Malgré cela, des massacres se poursuivront et constitueront la première grande vague de massacre de juifs en Europe.

 

Plus tard, au 17ème siècle, un autre prédicateur du nom de Jacques-Bénigne Bossuet, digne héritier de Pierre l’Ermite, dont on peut voir le portrait au Louvres, ou encore dont un musée porte le nom à Meaux, eu des paroles extrêmement sévères à l’égard des juifs, non sans rappeler l’accusation de déicide.

 

A cause de Pierre l’ermite, l’accusation de déicide était, elle, ressuscitée.

 

Cette accusation de déicide cessera en 1965 à Vatican II.

Le concile Vatican II, fait une déclaration appelée « Nostra Ætate », précisant que les Juifs ne peuvent être considérés comme responsables de la Passion, et rappelle aussi que les apôtres et les premiers disciples de Jésus sont juifs, et va même reconnaître les racines juives de la foi chrétienne.

Ainsi, le 28 octobre 1965, le pape Paul VI proclamera que les Juifs ne sont pas collectivement coupables de crucifixion.

Evénement important, puisqu’il conduira aussi 3 ans plus tard, en 1968, à l’abolition du décret de l’Alhambra, l’édit d’expulsion des juifs, des rois espagnols.

 

Conclusion

En conclusion, les croisades ont été désastreuses pour les Juifs européens.

Avant les croisades, les juifs avaient pratiquement le monopole du commerce des produits orientaux.

Et, à partir de cette époque, il y a eu des restrictions sur la vente des produits des marchandises par les Juifs.

Par exemple, à Strasbourg, jusqu’à la première croisade, les Juifs vivent depuis l'époque de Charlemagne dans des conditions relativement favorables. 

Ils jouissaient de la liberté en matière commerciale, ont leur propre code judiciaire et ont le droit de posséder des biens, de porter des armes et d'exiger la protection des autorités. 

Cette période paisible se terminera avec le début des croisades.

Des milliers de juifs ont été tués, massacrés et pillés à cause de l’accusation de déicide, et donc le prêche de Pierre l’Ermite.

Voilà les conséquences pendant plus de 800 ans d’un mythe.

Voilà pourquoi je tenais à parler de Pierre l’Ermite.

 

Comme Apion, qui médisait pour attiser la haine des juifs et en tirer profit, Méliton de Sardes va créer l’accusation de déicide.

Autre exemple de méconnaissance et causant la mort de milliers de juifs, à Strasbourg en 1349, après le massacre dit « massacre de la Saint Valentin » où 2000 juifs furent brûlés, lors du pillage de la synagogue, les pillards retrouvèrent la corne de bélier, le shofar.

Ignorant ce dont il s’agissait, l'un d'eux déclara que les Juifs avaient eu l'intention de trahir la ville en donnant un signal à un moment opportun à leurs alliés du dehors.

Cette opinion fut bientôt universellement acceptée.

L’idée du complot juif était née.

Le conseil municipal résolut de perpétuer le souvenir de leur délivrance, considérant le massacre de la Saint Valentin, comme telle, en fabricant deux grandes trompettes, copies de l'original, coulées en bronze.

Ces cornes s'appelaient des "Grusselhorn".

L'une d’elle était soufflée quotidiennement à huit heures du soir depuis la cathédrale, à quel signal, dit l'application du décret interdisait à tout Juif de résider à Strasbourg et c’est au son du Grusselhorn, que les juifs devaient quitter la ville.

Il faudra attendre le 18ème siècle, soit 450 ans après, avec Cerfbeer, qui deviendra le premier juif à être autorisé à vivre à Strasbourg et à en devenir le premier citoyen juif.

Les mythes sont tenaces, celle de déicide aura duré près de 2000 ans.

Une fois encore je vous ai démontré que la méconnaissance de l’histoire du peuple juif, conduit inexorablement à l’antisémitisme.

 

Ce qu’il faut retenir

L’accusation de déicide est née de la crucifixion de Jésus et de l’extension de l’accusation de Judah sur le Peuple Juif.

Grâce à l’historien, monsieur Simon Claude Mimouni, on peut donner la paternité de cette accusation à Méliton de Sardes.

L’accusation a été reprise 800 ans après, par le moine Pierre l’Ermite dans le but de motiver les troupes pour libérer Jérusalem et ainsi être directement responsable de la mort de milliers de juif.

La force du prêche, rend fanatique, ceux qui y croient, comme Apion qui avait, de par son talent d’orateur réussi à attiser la haine des juifs et sera responsable du premier pogrom de l’histoire, plus tard, encore un orateur de talent, de par ses prêches, réussira à faire ressurgir une vieille légende pour faire massacrer les juifs.

L’histoire nous a appris à nous méfier des beaux parleurs, mais hélas, il y en a toujours.

 

Retenez enfin, qu’une fois encore, la méconnaissance est responsable de la mort de milliers de juifs.

Le combat de l’antisémitisme doit se faire par la connaissance, pour éviter comme disait Elie Wiesel que

« Ceux qui ne connaissent pas leur histoire s'exposent à ce qu'elle recommence...»

 

Jérôme Attal