Une autre Histoire du Titanic
Comme toujours, je commence par le contexte des juifs à l’époque pour mieux comprendre les événements qui en découlent.
Nous sommes au début du 20ème siècle, à une époque difficile pour les juifs en Europe mais pas seulement.
En Russie, la plupart des juifs vivent dans la pauvreté, ils sont oppressés et massacrés.
Oppressés d’une part, par le décret des Cantonistes et ils se font massacrés d’autre part, par les pogroms.
L'histoire juive du Titanic
Ça me rappelle cette célèbre phrase de Chaim Weizmann, "Le monde est divisé en deux parties. Les endroits où les juifs ne peuvent pas vivre et ceux où ils ne peuvent pas entrer."
Pour en revenir à notre sujet, en 1827, en Russie, l’empereur Nicolas 1er décrète un statut pour obliger les juifs à enrôler leurs enfants, dès l’âge de douze ans dans une école militaire pour les préparer à l’armée.
Les enfants sont enlevés au domicile de leurs parents et torturés, leur promettant que leurs conditions s'amélioreraient s'ils acceptaient la conversion au christianisme orthodoxe.
Beaucoup sont morts de leurs blessures.
Et les pogroms, tout le monde connais ce terme et sait ce dont il s’agit.
Par exemple, les pogroms de Kichinev en 1903 et 1905, mais aussi le pogrom d’Odessa en 1880, tous sont encore très récents, et ont traumatisé les juifs russes.
Aussi, la Russie vient de vivre sa révolution et des mouvements nationalistes antisémites, comme les « cent noirs » se sont formés pour massacrés les juifs.
En 1891, les juifs sont expulsés de Moscou, en 1898, ils sont expulsés de Kiev en Ukraine.
Beaucoup immigreront en Argentine, pour fuir les pogroms, car ce pays offre une politique d'immigration attrayante.
En France, on nage en pleine antisémitisme, on sort à peine de l’affaire Dreyfus, c’est la France de l’action française, le mouvement antisémite de Charles Maurras qui au passage invente la formule de l’antisémitisme d’Etat.
Mais aussi sur un autre continent, à Alger, il y a eu un pogrom.
Le sujet des pogroms est très vaste, et fera, pourquoi pas, l’objet d’une autre émission.
En Palestine Ottomane, il y a 50 000 juifs à Jérusalem, ils sont la majorité religieuse, et lors du 6ème congrès sioniste à Bâle en Suisse, Theodor Herzl déclare l'État juif, ce qui provoquera une vague d’allyah, l’Irgoun est créé, Tel Aviv sort de terre, c’est aussi l’époque des premiers kibboutz, on a inauguré le Technion à Haïfa et l’empire Ottoman vie ses dernières heures.
Et donc, beaucoup de juifs fuient dans l’espoir d’un meilleur avenir, mais entre la précarité que leur offre la Palestine Ottomane et le confort que peut leur apporter une Amérique aussi en pleine croissance, beaucoup feront ce choix, et tenteront de s’établir en Amérique. Et quand l’histoire nous apprend ce qu’ils ont subi, qui les jugeraient ?
Voilà pour le contexte, et maintenant, j’en viens au Titanic.
Le Titanic est un navire de 269 mètres de long, 28 mètres de large et 53 mètres de haut.
Il est parti de Southampton sur la côte sud de l’Angleterre pour arriver à New-York en passant par Cherbourg en France et Queenstown en Irlande avant de rejoindre New-York.
Pour satisfaire ses clients et pour son bon fonctionnement, 889 membres d'équipage sont nécessaires pour 1315 passagers environ répartis en trois classes.
Sachant que la troisième étant la classe réservée aux pauvres, aux émigrants.
Il y a 4 à 8 couchettes par cabine.
A bord, les gens les plus riches de l'époque, mais aussi des centaines d'émigrants venant de Grande-Bretagne, d'Irlande et d'ailleurs en Europe, qui cherchaient l’espoir d’une nouvelle vie aux États-Unis.
Quatre jours après être parti, à 23h40 dans la nuit du 14 au 15 avril, alors que le navire se trouvait à 95 milles au sud des Grands Bancs de Terre-Neuve, il a percuté un iceberg qui s'élevait à trente mètres au-dessus du pont et coulera finalement le 15 avril 1912 à 2 h 20 au large de Terre-Neuve dans une eau à -2 degrés.
Le Titanic gît aujourd’hui par près de 4000 mètres de profondeur.
Quel est le nombre de victimes ?
Le nombre de victimes est de 1523 personnes.
La majorité est des hommes
Pourquoi des hommes en majorité ?
Car ils ont respectés le protocole chevaleresque qui consiste à donner la priorité aux « femmes et aux enfants d’abord ».
Protocole que l’on retrouve dans tous les naufrages de l’histoire car pour des raisons économiques, les paquebots ne disposent que du nombre minimum imposé par les assurances et donc il n’y en avait pas assez pour tout le monde.
Et on va voir par la suite comme l’honneur est d’une importance vitale pour l’époque.
Mais derrière cette tragédie, il s’est produit un événement trop méconnu est pourtant dont l’issue est « titanesque ».
D’après l’historien Eli Moskowitz, auteur de l’ouvrage « Les Juifs du Titanic » selon la liste des passagers de la compagnie maritime White Star Line, propriétaire du bateau, il y avait plusieurs centaines de juifs à bord.
La plupart voyageaient en troisième classe, classe réservée aux immigrants, et où les passagers avaient le moins de chance de survie. On ne connaîtra jamais leur nombre exact.
Mais il y en avait beaucoup plus de juifs que l’histoire ne le dit.
Car, bien que l’on devine la judaïté de certains passagers par la consonance de leurs noms de famille, il y en avait beaucoup plus car le seul moyen de fuir la Russie était de se procurer de faux papiers et bien évidemment avec un nom à consonance non-juive.
Il faut savoir qu’entre 1880 et 1920, c’est 2,7 millions de juifs qui fuient la Russie pour échapper aux persécutions dont on a parlé précédemment.
Y’avait-il un « comportement » juif à bord ?
Bien sûr, les juifs priaient et mangeaient ensemble.
En bas du menu standard, il figurait la possibilité d’une prestation cachère à bord.
Un dénommé Charles Kennel, cuisiner juif attitré et rabbin était le Shomer du Titanic.
Il existait un autre paquebot jumeau du Titanic, qui s’appelait l’Olympic, les deux navires partageaient les mêmes ustensiles, et parmi les objets récupérés à bord du Titanic, et à bord de l’Olympic, et bien, on a retrouvé des assiettes portant les mentions « viande » et « lait ». (Bassar et ‘Halav).
Les registres de l’organisme américain HIAS, la Hebrew Immigrant Aid Society (Société d’aide à l’immigration juive) organisation qui existe encore aujourd’hui, a prouvé que 27 passagers juifs ont survécu.
Parmi elles, par exemple, le cas de Tsvia Meisner, une passagère qui survécut mais dont la dépouille de son mari n’a jamais retrouvée.
Et donc devant de telle circonstances exceptionnelles, le rabbinat a du statuer pour l’autoriser à se remarier.
Une autre histoire magnifique, digne d’un film d’aventure, je veux parler de Benjamin Guggenheim.
Célèbre homme d’affaire américain.
Il était un des passagers les plus riches.
Un homme d’une grande classe, d’une élégance à la hauteur de son courage.
Selon le Jewish Chronicle, l’équipage lui proposa une bouée de sauvetage et une place dans un canot réservé aux femmes, il déclara en réponse :
« Aucune femme ne périra parce que j’ai été lâche. »
Il mit sa compagne en sécurité dans un canot, il aida même l’équipage à faire monter les femmes à bord des canots de sauvetage.
Puis il choisit de mourir en gentleman avec son valet avant de déclarer :
« Nous nous sommes habillés de notre mieux et nous sommes prêts à mourir comme des gentlemen»
Et Son corps ne fut malheureusement jamais retrouvé.
Et maintenant voici le cœur de notre sujet, je vais vous présenter la famille Strauss.
C’est l’'histoire d’une famille d'immigrants d’Allemagne de la fin du 19ème siècle, qui passe de la misère à la richesse.
Deux frères, Nathan et Isidor Strauss, propriétaires des célèbres magasins Macy’s.
Qu’est-ce que Macy’s ?
Macy’s est une célèbre chaîne de magasins basée à New York.
C’est Isidor qui a créé Macy's.
Ils étaient surtout reconnus pour leur altruisme.
Ils étaient les premiers hommes d'affaires en Amérique à former une société d'entraide pour aider leurs employés avec des soins médicaux. Ils avaient un médecin et une infirmière sur place.
L'écrivain Robert Grippo a écrit dans " Macy's, The Store, The Star, The Story " que l’on peut encore se procurer, que si l'un des frères remarquait qu'un employé semblait troublé ou malade, il se renseignait sur le problème et lui fournissait toute l'aide, dont il avait besoin, que ce soit de l'argent, ou d’un médecin.
Nathan, lui, a apporté la pasteurisation au monde.
Il a commencé à s'y intéresser après qu'une vache de sa ferme soit morte de la tuberculose.
Il a appris le procédé de Louis Pasteur en personne pour tuer les bactéries dans les liquides et ainsi fabriquer du lait stérilisé.
Puis il a créé des dépôts à travers New York pour distribuer ce lait à un coût dérisoire voire gratuit.
Nathan est reconnu pour avoir sauvé la vie à d'innombrables bébés new-yorkais.
Le maire de New-York lui a même dit, qu’« un enfant sur deux à New York vous doit son existence »
Et donc, les deux frères, Nathan, Isidor et leurs épouses respectives, venaient de visiter Israël ensemble, avant d’embarquer sur le Titanic.
Mais, Nathan change d’avis car il est frappé par la pauvreté des juifs et la grande précarité de ceux qui vivaient à Jérusalem.
Souvenez-vous, je vous ai dit qu’il y avait 50 000 juifs à Jérusalem.
Nathan préféra alors rester pour aider ses frères démuni, au confort d’une première classe à bord du plus luxueux paquebot de l’époque.
Isidor et sa femme embarqua donc seuls sur le Titanic.
Non pas par manque de mansuétude mais Isidor avait de grandes responsabilités et on peut penser que leur empire ne pouvaient pas se passer des deux frères en même temps.
Ils ne le savaient pas encore mais leur au revoir était en fait un adieu.
L’officier chargé de remplir les canots, pressa Isidor de monter dans un canot réservé aux femmes car il était une « première classe » et un homme important.
Mais il refusa de le faire tant que les autres hommes n’embarquent pas.
Il chargea sur le canot sa domestique et sa femme.
Et alors que des hommes montaient à bord de canots réservés aux femmes, sans y être invités, ils étaient « déchargés » manu militari par le personnel de bord, on imagine alors le mouvement de panique mais malgré cela et les supplications de l’équipage, comme Benjamin Guggenheim, Isidor eut une attitude de gentleman et répliqua d’un ton assuré :
« Merci Monsieur, mais je ne vaux pas mieux qu’un autre ».
Quand sa femme, Ida, entendit ces mots, elle refusa à son tour d’embarquer et déclarant à son mari la plus belle des déclarations d’amour :
« Nous avons vécu ensemble, nous mourrons ensemble », et les deux époux vont s’installer côte à côte dans deux transats se tenant par la main en attendant la fin.
Isidor et Ida meurent ensemble le 15 avril 1912 dans le naufrage.
Connaît-on le nombre de survivants et de personnes décédées ?
Seulement 705 personnes seront sauvées, et environ 1523 décédées mais probablement plus.
Et donc, pendant ce temps-là, que fait Nathan ?, Comment réagit il à l’annonce de cette catastrophe ?
Pendant ce temps, loin de ce tumulte, Nathan resté en Israël fonda des soupes populaires pour les nécessiteux de Jérusalem, et c’est ce qui lui a permit d’échapper à la mort.
Quand il apprit la nouvelle, Nathan l’a prise comme un miracle, il était persuadé que sa vie avait été sauvée par sa décision de venir en aide aux juifs de Jérusalem.
Plus tard, il va fonder le Centre médical Strauss, qui fait partie aujourd’hui encore de l’hôpital Hadassah, des dispensaires pour enfants pour combattre la malaria, ainsi que des écoles.
En tout, il va consacrer les deux tiers de sa fortune à aider les juifs.
En 1927, une ville en Israël est baptisé en son honneur et aujourd’hui porte encore son nom j’ai nommé Nataniya.
Mais aussi à Jérusalem la rue Straus, porte le nom de Nathan et de sa femme, Lina.
Lors d'un dîner offert en son honneur, il avait fait un discours magnifique :
« Le monde est mon pays, faire du bien est ma religion… Ceci a souvent été une inspiration pour moi.
L'humanité est ma famille, sauver des bébés est ma religion, c'est une religion qui j'espère aura des milliers de fidèles. »
Nathan Strauss meurt le 11 janvier 1931 à New York, avec, j’en suis sûr, la satisfaction du devoir accompli.
Et maintenant quand vous vous promènerez dans la rue Straus de Jérusalem, vous penserez à Nathan.
Jérôme Attal